Comme un orchestre, une entreprise est constituée de plusieurs éléments complémentaires qui doivent être déployés en doses adéquates, au moment exact où elles sont requises.
En affaires, l’environnement dans lequel opère l’orchestre amplifie significativement le défi. Imaginons un orchestre installé à la proue d’un navire, jouant en continu, dans des conditions climatiques changeantes à l’extrême!
Campwagon a été un succès parce que plusieurs de ces éléments complémentaires ont été présents en bonne dose au bon moment, et que les associés étaient des chefs d’orchestre unis, attentifs et rapides à prendre action. Avec recul ils réalisent qu’ils ont eu la chance de former et de vivre au sein d’un groupe orchestral grisant.
Ils attribuent leur succès à la combinaison de ces facteurs gagnants :
1- La complicité des associés
Lucien et Johan ont été des associés qui se complétaient admirablement. Johan dirigeait tout ce qui touche la mise en marché, les ventes et les relations avec les grands de l’automobile. Lucien concevait tous les produits et gérait l’ensemble des activités d’approvisionnement, d’affaires réglementaires et de production.
Les deux ont partagé le même bureau durant toutes leurs années ensemble. Cette approche leur a permis de prendre de nombreuses décisions sur le champ puisqu’ils étaient au fait de l’ensemble de ce qui se passait en temps réel. Il n’y avait pas besoin de travailler en cédulant des « réunions » chez Campwagon. De même, les deux possédaient la même vision et les mêmes valeurs quant à la gestion des finances de l’entreprise.
Leur synergie était remarquée: à deux reprises, en 76 et en 77, la direction de GM Canada située à Oshawa, leur a attribué le prix « Best Managed and Profitable Bodybuilder in Canada ». (Convertisseur de véhicules le mieux géré et le plus profitable au Canada).
2- L’équipe d’employés dédiés
Lucien et Johan étaient entourés d’une équipe dédiée. Durant les années où l’usine a dû opérer à pleine capacité ils étaient au rendez-vous et donnaient une performance intense mois après mois, sans répit. Les partenaires ont eu la chance de travailler avec des gens qui avaient souvent été élevés en milieu rural, et qui avaient eu à travailler avec beaucoup d’initiative et d’endurance, avant de joindre Campwagon. Ces personnes étaient d’un calibre hors du commun.
Lucien mentionne que l’ambiance y était chaleureuse, sincère et amicale, surtout lorsque l’équipe était encore petite. À partir du moment où l’usine a employé plus de quarante employés, il note que c’était plus difficile de garder la même chaleur envers chacun, mais que dans l’ensemble les relations étaient très bonnes.
Lucien garde de très bons souvenirs de ces nombreux samedi matins, où une douzaine d’hommes de l’équipe de production, se retrouvaient librement et par plaisir à la dinette de l’usine, pour y prendre beignes et café – un genre de club social informel. Certains y allaient pour travailler lorsque nécessaire, mais d’autres s’y rendaient simplement pour le plaisir de se retrouver entre chums. (Note : Alors que j’interviewe Lucien, c’est la première fois qu’il me révèle que tous ces Samedi où il “fallait qu’il aille travailler”, en fait il aimait bien se sauver des enfants et des tâches domestiques! ) par Nathalie Barbeau 2018
Dans l’équipe de production, un grand nombre d’employés ont été du groupe durant presque la durée de vie de Campwagon. Malheureusement certains sont décédés : Yvon Demers, Gérard Lavoie, Richard Cassistat et Gilbert Trudel. Alors que je l’interroge, Lucien me donne en exemple d’autres noms de travailleurs qui ont été du groupe de production durant de très nombreuses années : Yvon Laliberté, Roland Pouliot, Claude Demers, Charles et Noel Châtigny, Marcel Landry, Alain Sévigny, Yves Coulombe, Yvan Vaillancourt, Marcel Boucher et Danielle Champagne. Nous ajoutons aussi Jean-Guy Cazes, Steven Mathieu et Alain Bourget avec qui nous avons eu le plaisir de chaleureux contacts, plus de vingt ans après, dans la deuxième aventure d’affaires de Lucien, Helitowcart. Lucien aimerait tellement se souvenir de tous les noms!
3- Les changements rapides
Les associés prenaient action promptement lorsqu’une opportunité ou un enjeu se présentait.
Les produits étaient développés très rapidement et mis en validation instantanément. C’était l’approche de développement Scrum, quinze ans avant que cette technique de gestion ne soit définie.
Les immeubles étaient agrandis dans un temps record et donc l’entreprise bénéficiait rapidement des revenus additionnels que procuraient ces investissements. Cette stratégie a permis d’être capable de fournir à la demande exactement au moment où l’opportunité commerciale se présentait. Un bel exemple : la construction en 30 jours d’une usine de fabrication des autobus, pour capturer un contrat de 375 unités.
4- Les relations de confiance dans leur milieu
La philosophie de gestion des partenaires en était une de respect et de confiance avec les gens de leur environnement d’affaires, dans tous les axes : clients, fournisseurs, représentants des grands manufacturiers automobiles et intervenants municipaux.
Lucien mentionne que les engagements s’effectuaient tous avec une poignée de main, et que la relation de confiance et de respect était entretenue dans l’harmonie, sans jamais avoir besoin de recourir à des mécanismes de résolution de litiges légaux. Cette attitude positive faisait en sorte que l’énergie déployée était utilisée à avancer.
5- Le timing
Johan et Lucien ont eu la chance de démarrer leur entreprise à la sortie d’une crise économique en 73, et de bénéficier de 8 années de croissance économique continue avant la crise de 81. Leur discipline de gestion et cet excellent timing, leur ont permis de bien poser leurs bases: leurs immeubles étaient payés et ils comptaient sur un fond de liquidités lorsque cette crise a frappé, soudainement et très durement. Afin de survivre ils ont dû laisser aller quarante employés et n’ont pu en garder qu’un seul.
Durant une période interminable d’environ 20 mois, ils ont été sauvés par les liquidités qu’ils avaient accumulées avant la crise. Placées, ces sommes leur rapportaient 18%, et c’est ce qui a payé les coûts fixes durant toute cette période. Leur situation était considérablement plus avantageuse que les entreprises qui avaient des dettes avec des intérêts à payer à 22%. Tout un écart.
Cet environnement économique a causé la disparition brutale d’un très grand nombre de concessionnaires automobile et de la majorité des compétiteurs canadiens de Campwagon. Lucien se souvient qu’à un certain point, même la maison mère de GMC exigeait que ses concessionnaires les paient « COD ». Du jamais vu à l’époque.
Lorsque la crise s’est terminée, ils ont pu repartir à plein régime rapidement, car ils n’avaient pas accumulé de dettes exponentielles durant la crise. De plus, il y avait moins de joueurs dans l’industrie et donc la clientèle s’est davantage dirigée vers leur entreprise.
Ils ont aussi bénéficié d’un bon timing quant aux modes dans le marché. Pour preuve les Vans de ville: Campwagon a eu juste assez de temps de 73 à 76 pour s’établir dans le milieu en prenant de l’expérience avec les campeurs, et a donc pu rapidement intercepter la nouvelle mode de se faire convertir une camionnette en salon, et a eu le flair de se définir une niche solide dans ce créneau du véhicule de luxe. Ce timing a permis à l’entreprise d’être présente et prête à prendre sa place dans le feu de l’action dès l’arrivée de cette mode, et de jouir par la suite de son cycle complet de popularité.